Avec Kadhafi, mon père avait une inimitié de longue date. Au début des années 1970, la radio libyenne déversait sur le Maroc des heures et des heures d’émissions hostiles au régime. Gonflée à bloc par la hausse continue des cours du pétrole, la Libye se payait les émetteurs les plus élaborés de l’époque. En face, le Maroc, désargenté, n’avait pas les moyens techniques pour se défendre. On envoya mon père quelques mois à Madrid pour obtenir l’aide du gouvernement espagnol. Franco était encore en vie mais le régime dictatorial s’assouplissait déjà. La maladie du caudillo y était pour beaucoup. En Espagne, le mentor de mon père fut Adolfo Suarez, le patron de la radiotélévision espagnole à l’époque. Cet homme extraordinaire deviendra plus tard le premier chef de gouvernement de la transición democrática[1] qui a suivi le décès de Franco. L’Espagne lui devra beaucoup car il négocia les grands virages qui ramenèrent le pays vers la démocratie sans violence ni déchirements inutiles. Mon père admirait Suarez en tant qu’être humain, il aimait la personnalité aristocratique et agréable de ce grand commis de l’Etat qui comme lui était beaucoup plus qu’un simple technicien de l’audiovisuel. Les deux se sont côtoyés à Madrid durant les longs mois où mon père se familiarisa avec les technologies en usage en Espagne pour le brouillage des ondes. L’armée lui expliqua comment elle arrivait à empêcher chaque grande ville espagnole d’écouter les émissions procommunistes émises depuis l’Europe de l’Est. Je suppose que le Maroc s’inspira de ces procédés de guerre électronique contre Kadhafi. Je n’ai jamais su les détails concrets de cette affaire car mon père savait rester secret quand il le fallait.
[1] Transición democrática española : 1975-1978. Période qui s’écoula entre la mort de Franco et la proclamation de la nouvelle constitution.
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